Max et les fauves

Max et les fauves

Traduit du portugais (Brésil) par Philippe Poncet

Jeune berlinois contraint de fuir l’Allemagne pour échapper aux nazis, Max s’embarque sur un cargo en route pour le Brésil avec à son bord les pensionnaires d’un zoo. Max échappe in extremis au naufrage du navire en sautant dans un canot. Dans ce canot, un autre passager s’impose, inattendu et menaçant: un jaguar. Max et le jaguar vont devoir cohabiter en pleine mer.
Chef d’œuvre du «réalisme magique» sud-américain, aujourd’hui classique de la littérature brésilienne contemporaine, l’aventure de Max conduit le lecteur de Berlin jusqu’au Brésil, mais bien loin d’une tranquille épopée ensoleillée: qui sont ces fauves auxquels Max, toute sa vie, sera confronté? Max sortira-t-il vainqueur de ce combat? Aussi court et efficace que Cacao de Jorge Amado, Max et les fauves est un écho romanesque des Origines du totalitarisme de Hannah Arendt, visité par l’imaginaire d’un Italo Calvino.
Nouvelle traduction augmentée d’une post-face de l’auteur, à propos de «L’histoire de Pi» de Yann Martel, très largement inspirée de «Max et les fauves»: « Le texte de Martel est très différent du mien mais le leitmotiv est le même. Dès lors, se posait la question embarrassante du plagiat… »

À propos

D’emblée bien accueilli par la critique, le court roman Max e os felinos (1981, traduit dans un premier temps sous le titre Max et les chats, puis sous celui de Max et les fauves) acquiert une nouvelle notoriété en 2002, quand il apparaît que l’idée de départ du roman Life of Pi (2001, L’Histoire de Pi) de Yann Martel, qui remporte cette année-là le Man Booker Prize du meilleur ouvrage de fiction, lui ressemble étrangement. Élu membre de l’Académie brésilienne des lettres en 2003, Moacyr Scliar en devient par la suite le président. Il meurt huit ans plus tard, le 27 février 2011, à Porto Alegre.

Patricia BAUER,Universalis


Le 27 février 2011 décédait le « Maître de la littérature nationale et latino-américaine » selon la Présidente du Brésil Dilma Roussef. Le plagiat soupçonné de son livre Max et les fauves, dont Yann Martel s’est inspiré pour écrire l’Histoire de Pi, avait suscité une vaste polémique en 2002. Dans une réédition de son livre parue après le scandale, Moacyr Scliar consacrait une postface à ce qu’il qualifiait, avec plus de surprise que de courroux, d’ « étonnante affaire ».

 Quand je voyais les gens faire la queue pour aller voir le film l’Odyssée de Pi, j’avais envie de leur crier « Lisez le livre ! »,  raconte Jean-Marie Ozanne, directeur de la maison d’édition Folies d’encre qui a réédité, dans une nouvelle traduction de Philippe Poncet, Max et les fauves en 2009. L’histoire de Pi, pour laquelle Yann Martel a reçu le prestigieux prix Booker de fiction en 2002, paraît de son côté en anglais en 2001. C’est par un appel d’une correspondante du journal Globo que Moacyr Scliar est pour la première fois alerté d’un possible plagiat de son livre traduit sous le titre Max and the cats aux Etats-Unis en 1981.

 « Je me sentis gonflé d’orgueil à l’idée que quelqu’un d’autre ait pu s’intéresser à un texte qui m’avait procuré autant de réconfort » raconte l’écrivain dans la postface, mais il fut aussi troublé que Yann Martel prétende avoir eu ce qu’il nomme l’« étincelle de vie », c’est à dire l’idée de son roman, en lisant une critique de Max and the cats par John Updike dans le New York Times… Article qui n’a jamais existé. Alimentée par la presse, la polémique s’amplifia au point de dépasser la simple controverse littéraire. Un article d’un journal canadien intitulé « Nouvel épisode de la rage d’une nation (le Brésil) contre le Canada », sous titré « Beef, Bombardier, Books » mélangeait ainsi le contentieux sur le livre à l’embargo sur les viandes brésiliennes et à la concurrence des deux pays sur le marché des avions !

  « Cela l’amusait beaucoup », confie Jean-Maris Ozanne, qui a maintes fois rencontré Moacyr Scliar, « un homme délicieux », lequel s’est refusé à toute poursuite judiciaire et a préféré utiliser le prétexte de ce qu’il appelait un « incident » pour développer dans sa postface une réflexion sur le narcissisme de notre époque. On l’y sent plus attristé du manque d’élégance de l’auteur canadien qui « aurait pu lui demander de souscrire à son intention », qu’opposé à l’utilisation de son idée. « S’inspirer d’une idée littéraire n’a rien de commun avec une forme de piratage », estime-t-il, avant de féliciter Yann Martel pour sa « narration excellente, pleine d’humour et d’imagination » autour de la même figure d’un personnage confronté à la cohabitation avec un félin dans un canot.

 Une charge contre l’autoritarisme et le fascisme

 « Le roman de Yann Martel est un très bon livre, mais le contenu politique de Max et les fauves disparaît totalement », explique Jean-Marie Ozanne qui a tôt eu l’intuition que la traduction anglaise édulcorait la puissante charge de l’original contre l’autoritarisme et sa forme suprême, le fascisme. « Un chat  n’est pas un dangereux prédateur », s’amuse-t-il, rappelant que nombre des écrits de Moacyr Scliar livrent des éléments de sa propre histoire familiale, celle de juifs russes exilés au Brésil à la fin du XIXe siècle.

« De tout temps et quelles que soient les circonstances, Max a eu maille a partir avec les fauves », ainsi débute le roman et comment pourrait-il en être autrement pour le fils d’un fourreur juif, contraint de fuir Berlin dans les années 30, à bord du paquebot Germania voué à faire naufrage… « Le jaguar, pour moi, est une métaphore du pouvoir absolu et irrationnel, comme ce fut le cas du nazisme, par exemple. Ou encore, à une échelle bien inférieure, celui de la dictature militaire qui s’installa au pouvoir en 1964 », confie Moacyr Sceliar dans la postface.

 Dans son blog, l’écrivain et traducteur Claro, revient sur cette « étonnante affaire » constatant que « si l’histoire littéraire abonde en pillages et détournements, on est toutefois en droit de se demander si cette réalité historique peut faire l’économie d’un devoir de reconnaissance ». Nous lui empruntons -avec reconnaissance- sa conclusion : « Par sa discrétion, son refus du litige, Moacyr Scliar nous rappelle qu’un livre se nourrit de lectures autant que de lecteurs, et que sa force n’a guère besoin des griffes du plagiat ni des crocs du succès ».

 Reste à espérer, à l’instar de Jean-Marie Ozanne, que le million et demi de spectateurs français du film L’Odyssée de Pi (605 millions de dollars de recettes mondiales*) seront tentés de découvrir le jaguar brésilien qui inspira le tigre canadien.

Libération


Moacyr Scliar, L’écrivain brésilien.

L’un des écrivains brésiliens les plus connus et les plus traduits de sa génération, Moacyr Scliar, est mort dimanche 27 février, à l’hôpital de Porto Alegre, des suites d’une opération chirurgicale. Il était âgé de 73 ans.

Mince et élégant, sûr de ses options mais prêtant volontiers l’oreille à ses contradicteurs, attentif à la souffrance, à la peine et à toutes les manifestations du mal, Moacyr Scliar fut d’abord médecin et organisateur de la médecine dans sa ville natale de Porto Alegre. Au milieu de sa vie – il a alors une quarantaine d’années – il se lance pleinement dans l’écriture, devenant une figure exemplaire de la littérature de son pays et l’animateur avisé de l’Académie brésilienne des lettres.

C’est en 1904 que ses parents débarquèrent au Brésil, sans doute à la suite d’un pogrom dans leur Bessarabie natale. Ils s’installèrent à Porto Alegre, la belle et savante capitale du Sud, plus proche des influences argentines et plus citadine que la région de Pernambouc. Une ville qui s’enorgueillit à juste titre de sa culture, des nombreux poètes et écrivains qu’elle a enfantés.

La mère y travaillait comme secrétaire. Quand son fils y naquit, le 23 mars 1937, elle lui donna le prénom de Moacyr, très brésilien, et même indien : une manière de faire allégeance à son nouveau pays, de trancher avec le passé, de signaler un nouveau départ.

On imagine aisément les sacrifices que cette femme dut consentir pour permettre à l’enfant de poursuivre de longues et coûteuses études et de devenir médecin.

Très tôt, le jeune homme s’orienta vers l’organisation municipale de la médecine, et notamment celle du SAMU de sa ville. Il quittera ces fonctions vers la fin des années 1970 pour se consacrer à la littérature.

C’était l’époque des triomphes mondiaux de Jorge Amado et de Joao Guimaraes Rosa, campés l’un et l’autre sur leurs territoires brûlants du Nord. La nouvelle voix qui s’élève alors apparaît clairement comme différente, moins exotique et plus réaliste pour le lecteur de Porto Alegre. Elle est très vite saluée comme une réponse – une revanche -, venue du Sud. Et une tentative originale parce qu’elle est d’inspiration juive. Ce ton différent est vite apprécié dans les métropoles de Rio et de São Paulo, surtout quand on se rend compte de son accueil très favorable à l’étranger : cet auteur est au Brésil l’un des plus -traduits.

Jean Soublin, Le Monde

  • Date de parution : 15 mai 2009
  • ISBN : 9782907337625
  • 13,00 €
  • 14x19 cm
  • 96 pages