La Traversée

Rio de Janeiro, 14 mars 1966. L’écrivain Paulo Goldberg Simões s’apprête à fêter quarante ans d’une existence sans éclat. Tandis que le Brésil subit depuis trois ans le joug de la dictature militaire, il se tient à l’écart du moindre engagement politique ou idéologique. Divorcé, misogyne et jouisseur, niant ses origines juives révélées par un père hanté par le souvenir de la shoah, Paulo revendique sa «neutralité». Lucide sur la vacuité de son existence, insatisfait de son travail d’écrivain, distant vis-à-vis de son entourage– à l’exception de sa fille Ana Maria– Paulo est approché par un ancien ami accompagné par une mystérieuse jeune femme, Vera. Ces derniers tentent de le convaincre de passer à la clandestinité et rejoindre un mouvement révolutionnaire qui s’apprête à déclencher la lutte armée à travers le pays. Paulo refuse, tout en décidant d’écrire un projet de roman sans cesse ajourné, construit sur la symbolique de Pessach, la Pâque juive, qui rappelle la nuit au cours de laquelle les hébreux, en traversant mer et désert, ont décidé d’en finir avec leur condition d’esclaves. Sous l’effet d’une conjugaison d’événements apparemment dus au hasard, la vie de Paulo bascule brutalement. Attiré par Vera, otage puis acteur de son propre destin, Paulo incarne, littéralement, le sujet du roman qu’il n’écrira jamais, au terme d’une longue et haletante traversée qui le révèle à lui-même. Loin de l’exotisme des plages, du foot et du carnaval brésiliens, La traversée est l’un des ouvrages majeurs de Carlos Heitor Cony, emprisonné à plusieurs reprises sous la dictature. En 1966, «Le Brésil: ou vous l’aimez ou vous le quittez» est le slogan sinistre proclamé par la junte militaire. Que faire ? Faut-il s’engager dans un combat révolutionnaire à l’issue douteuse ? Ou au contraire subir et se terrer dans la masse égoïste et indifférente d’une classe moyenne dépourvue d’idéaux ?