« Le Gibus, La Boule Noire, le Réservoir, le Tryptique… Pierre Hybre a travaillé deux ans dans les lieux cultes de la jeunesse rock, protégeant ses boîtiers de la moiteur, de l’effervescence, de la surchauffe et des coups. Il a pisté des héros presque adolescents excités par la musique, par le manque de sommeil, par l’ivresse de la liberté, par leur vie toute neuve encore. Dans une approche frontale, volontairement éloignée des grands poncifs de la photographie de concert qui aurait fixé ces enfants dans un carcan trop lourd pour eux, il est parvenu à saisir quelque chose d’éternel qui trouve ici à s’exprimer à travers le mouvement rock — l’essence même de la jeunesse, totalement présente et impliquée dans l’instant.
Ce n’est pas un travail sociologique, ce n’est pas de la photographie de concert, ce n’est pas un reportage : c’est une plongée sans fard dans le bel âge et dans les nuits éphémères.
Le Velvet, Warhol, La Factory, Bowie, Nico, Patti Smith… autant de noms qui ont bercé l’adolescence du photographe. Il retrouve certains de ces codes, de ces grandes figures, que s’est réappropriée cette génération qui a trouvé dans le rock, et dans une attitude, le moyen de vivre pleinement.
La photographie de Pierre Hybre porte le poids de l’instant, privilégiant les compositions simples, les couleurs ajustées, les lumières froides, presque blanches. Sa glaciation élégante à la Gus Van Sant sied à la beauté des visages si jeunes. Il y a des ongles rongés, des tempes lisses et des joues roses. Mais il y a des traits tirés, des cernes noirs, des paupières meurtries, des cœurs amoureux…
Loin des clichés ambiants sur les babyrockers, ses portraits hiératiques de garçons épuisés qui soutiennent le regard, une aura de légende au fond des yeux, nous interpellent sur notre propre jeunesse. Presque à l’étroit dans le cadre, ils se prêtent pour un instant et le temps se suspend, le silence se fait. Au sous-sol, agitation, baisers à pleine bouche, moite complicité ; la vie reprend le dessus pleine de désir, de sueur, de salive, et de larmes.
Pauline Guena, 2010. »