Dernier novembre à la Noue
“Quand j’étais petit, des publicitaires avaient imaginé de représenter l’Île-de-France en une fleur grossièrement dessinée dont chaque pétale formait un département, sauf Paris qui faisait le truc à pistils au milieu et sauf aussi les départements champêtres, Essonne ou Seine-et-Marne, en calice tout autour. À la suite d’un concours de circonstances sociologiques, j’habitais alors avec mes parents à Champigny-sur-Marne, quelque part en haut du pétale du bas. (Je le sais parce que j’ai conservé mon cahier de géographie de CM2, avec sa table des matières : I. Ma Région II. Mon Département III. Ma Ville IV. Mon Quartier V. Mon École — c’était le début de la pédagogie pour pauvres qui consiste à leur montrer ce qu’ils ont déjà sous le nez et à leur y enfoncer la tête jusqu’à ce qu’ils oublient qu’autre chose existe ailleurs, en vertu de quoi, je connaissais un par un l’emplacement de chaque poteau électrique entre la Marne et le Prisunic de la Fourchette — pour le reste de l’univers, le Berry et les Mascareignes, qui ont pourtant aussi leur Île-de-France, je me suis débrouillé plus tard et autrement.) Officiellement donc, mon immeuble se trouve dans le quartier de La Noue, dans la ville de Montreuil-sous-Bois, dans le département de Seine-Saint-Denis, le pétale de droite…
… Les limites de La Noue de Montreuil sont matérialisées par des inscriptions sur les murs, sans cesse recouvertes puis refaites à neuf : vers le Plateau, Le Plateau baise La Noue ; vers les Clos Français, Les Clos Français en force baisent La Noue ; vers les Malassis de Bagnolet, allez savoir pourquoi, L’OM nique La Noue. Quelques mètres plus loin, c’est écrit en sens inverse, comme aux postes frontières.”